Le petit Michaux avait osé le premier... Samedi, la ville était en fête à l'occasion de carnaval. Madame Pensée, toute de blanc vêtue, en dentelles et mousselines, avait pris la tête du cortège, faisant admirer nonchalamment un bien alléchant décolleté laissant deviner ses jolies rondeurs. Lèvres pulpeuses à souhait, boucles blondes, elle ouvrait la marche, suivie d'une assourdissante Batucada, sorte de folie écarlate et rythmée, martelant des refrains endiablés.
La foule des grands jours s'était rassemblée au parking des Brasseries pour faire honneur aux deux géants de fer et de bois chargés de porter haut la renommée de notre ville.
Car Monsieur Barbeau, qui fermait le cortège toisait de son air dédaigneux le menu peuple qui s'affairait à ses basques. En gilet et queue de pie, le bellâtre roulait ses yeux globuleux en oeufs au plat au-dessus de la fine moustache en goguette, s'efforçant de rattraper sa future qui loin devant s'entêtait à semer ce triste promis!
Au milieu du défilé pourtant, toute une cour se pressait, accompagnant le superbe gâteau de mariage, pièce montée de sucre rose et de chantilly mousseuse, couronnée des traditionnels petits sujets, petit marié et petite mariée, souriant à la foule. Une horde de pâtissiers, toque de travers et tablier étincelant, tirait la lourde friandise, se frayantun chemin parmi les joyeux fêtards.
De place en place, musiques diverses faisaient honneur au cortège, semant des notes enlevées qui telles des confettis s'égaillaient dans le ciel bleu.
L'harmonie municipale avait troqué son costume rouge cérémonieux pour des tenues estivales, mâtinées de masques et de coiffes originales, pimentant les abords de la Caisse d'Epargne de ses lutins musiciens... plus loin, l'harmonie de Fains Véel laissait sourdre les éclats des cuivres et des percussions..
Des graffeurs, installés entre les arbres du boulevard, ponctuaient de larges couleurs la belle ambiance qui déroulait son chemin de citoyens encostumés. Car nombreux étaient ceux qui avaient osé franchir le pas et s'être vêtus de jolis travestis ou nippés de tenues décalées, pleines d'imagination!
De la famille Bob Marley, plus vraie que nature, au groupe de nounous déjantées poussant des landaus improbables, on rencontrait petites fées, marquises ou clochards, et même, chiens anonymes déguisés en dalmatiens...
Après la pause place Reggio, chacun a repris le chemin du pont de la Liberté où devait prendre fin cet après-midi de couleurs.
L'immense pâtisserie immobilisée au centre pouvait alors vivre ses derniers instants, au son des casseroles et des poêles, après une ronde illuminée des cuistots et mitrons qui l'avaient si bien menée jusque là!
Petite mariée et petit mariés furent descendus et l'artificier s'employa à réduire en cendres ce chef d'oeuvre de crème rose... en un instant des dizaines d'heures de savante attention s'envolèrent dans l'azur, réduisant à néant les vingt-huit bottes de paille qui, crépitant d'aise et de plaisir, crachèrent en un dernier souffle des volutes de fumée noire dans une chaleur insoutenable...
La lance à incendie entrava les ultimes soubresauts et ne resta plus qu'un informe magma, ruisselant des derniers flonflons et emportant vers le caniveau les confettis de la fête...
D'autres photos dans l'album intitulé Carnaval à Bar le Duc...