C'est sous un soleil franc et massif que la foire de printemps a déroulé son long tapis de camelots au long des rues du centre ville. Mais cette année, le centre ville s'était légèrement étendu puisque le hall des brasseries avait intégré le périmètre marchand offert aux visiteurs dominicaux.
Certes, de bateleurs et de casseurs d'assiettes, il n'y a plus guère... Mais les vendeurs d'andouilles ou de far breton sont toujours fidèles et les bonbons des Hautes Vosges squattent plusieurs emplacements, non loin des traditionnelles chaussettes qui ne serrent pas le mollet ou des vêtements de sport griffés sortis des arrière-cours de grands faiseurs. Les parfums "Chanel" ou "Guerlain" sont proposés à un prix défiant toute concurrence et le génie hâbleur du beau parleur fait craquer des badaudes ébahies qui s'étaient pourtant bien promis de ne céder qu'à des envies raisonnables!
Machines à chichis (pour les faire sans bulles d'air et donc sans éclaboussures, s'il vous plaît!), nappes intachables sur lesquelles coulent sans dommage café noir ou vin rouge...on trouve tout ou presque tout à la foire!
Ah oui! cette fois grande nouveauté, vous disais-je en préambule, puisque les animaux refont acte de présence et retiennent la belle attention des petits comme des grands!
Non loin des chevaux mécaniques rutilant de leurs carrosseries bien astiquées, d'autres arrière-trains se laissent admirer, jouant de leur gironde plastique, coquettement lustrée de près laissée à l'appréciation voyeuse des promeneurs citadins. Belles bêtes, propres et soignées, les sabots foulant la paille fraîche, mordorée sous l'éclat du soleil.
Dans mes souvenirs, lors des foires d'antan, ces paisibles ruminants ou équidés placides s'alignaient le long du boulevard de la Banque (disait ma grand-mère, alors que l'intitulé Poincaré était pourtant depuis longtemps de mise) et diffusaient des effluves musqués et redoutables, s'élevant des lits de paille brune malodorante mêlée de de bouse ou de liquide brunâtre... les sens olfactifs étaient fortement sollicités et généraient presque du plaisir à renifler la belle odeur de la campagne...
L'époque a changé, et maintenant, proprets et presque inodores, les poitrails et gros culs fraîchement brossés et étrillés attendent paisiblement l'heure venue où ils pourront de nouveau fouler le sol aseptisé de l'étable ou de l'écurie, loin de l'œil "expert" de l'endimanché de passage... car point de concours, seulement une belle vitrine...
Par contre, à l'intérieur du hall, des moutons au pelage laineux à souhait, semblent avoir oublié de sacrifier à la toilette et l'on n'a guère envie de plonger les doigts dans la peu reluisante toison qu'ils offrent à nos regards! Mais, après tout, peut-être n'y connais-je rien!
Dans l'atmosphère bruyante et froide, à l'abri dans leurs enclos grillagés, poules et canards, oies et pintades se disputent la vedette auprès de la jeune génération et les tout-petits se laissent séduire par les piaillements de poussins ou de canetons d'un jour, se pressant sous la lumière chaude et douce de l'incubateur.
Plus loin, les petits veaux, déjà porteurs de la boucle d'oreille de reconnaissance, tentent sur leurs pattes frêles de faire bon museau devant le promeneur et là, si triste, l'âne si doux, qui, si longtemps que m'en souvienne, va près des fossés d'un petit pas cassé...
Les artisans ont posé leurs totems, vantant la dernière fenêtre inviolable ou le vitrage sans pareil, la chaudière qui va faire ronronner de plaisir votre sous-sol ou le panneau solaire qui enchante votre toit, la pompe à chaleur qui ne vous coûte rien ou si peu ou le motoculteur qui retourne vos massifs sans fatigue!
C'était la foire de printemps à Bar Duc... et ceux qui l'ont ratée la retrouveront l'an prochain...